En avril, SpaceX lancera une fusée Falcon 9 transportant le satellite Transiting Exoplanet Survey de la NASA. Il permettra de détecter de nouvelles exoplanètes. Les astronomes pensent que ces mondes sont innombrables. Déjà, plus de 3700 exoplanètes ont été découvertes, notamment par le télescope spatial Kepler.
Ironiquement, chaque exoplanète confirme non pas la cosmologie de Kepler, mais celle de Giordano Bruno, le philosophe italien qui fut brûlé vif à Rome, en 1600, comme hérétique.
Bruno disait que l’univers n’avait pas de centre, et que les étoiles étaient des soleils, entourés de planètes et de lunes. De façon remarquable, il a ainsi exposé des aspects à grande échelle de notre cosmologie, alors que Copernic et Kepler pensaient à tort que l’univers est sphérique, que le soleil en est le centre, immobile, et que les étoiles ne sont pas des soleils entourés de planètes.
En tant que professeur d’histoire, j’enquête sur les mythes historiques. Mais je n’ai pas pu en déboulonner un : celui selon lequel l’Inquisition romaine aurait condamné Bruno en partie à cause de la cosmologie. Les historiens ont insisté sur le fait que ce n’était pas vrai, mais avaient-ils raison ? C’est un sujet explosif dans le prétendu conflit entre le christianisme et la science. Les universitaires désamorcent cette bombe en disant que Bruno n’était pas un scientifique et que l’Inquisition l’a condamné pour des transgressions religieuses, et non pour la cosmologie. L’Encyclopédie catholique adopte la même position, affirmant que « Bruno n’a pas été condamné pour sa défense du système copernicien d’astronomie, ni pour sa doctrine de la pluralité des mondes habités. »
De même, l’historienne Frances Yates a déclaré : « la légende selon laquelle Bruno fut poursuivi en tant que penseur philosophique, fut brûlé pour ses vues audacieuses sur les mondes innombrables ou sur le mouvement de la Terre, ne peut plus tenir. » De même, l’historien Michael Crowe a rejeté le « mythe selon lequel Giordano Bruno aurait été martyrisé pour ses convictions pluralistes. »
Tout le monde n’est pas d’accord : En 2014, des millions de personnes ont regardé le premier épisode de la version actualisée de Cosmos de Carl Sagan, dans lequel Neil deGrasse Tyson déclare que Bruno a couru le danger en insistant sur l’existence d’innombrables planètes. « La sanction pour avoir agi ainsi dans son monde », dit Tyson, « était la forme la plus vicieuse de punition cruelle et inhabituelle ». De nombreux critiques se sont plaints. Sans même avoir lu les livres de Bruno, de nombreux blogueurs se sont fait l’écho du sentiment populaire selon lequel il était un hermétiste mystique dont le tempérament et les blasphèmes ont conduit à sa mort.
Assurément, les inquisiteurs ne l’ont pas condamné pour avoir cru en Copernic. Mais la croyance de Bruno dans le mouvement de la Terre les a agacés des années avant qu’ils n’admonestent Galilée pour la même chose. En 1597, les inquisiteurs ont censuré l’affirmation de Bruno selon laquelle la Terre bouge. Sa théorie des systèmes stellaires planétaires, qu’il appelait « mondes innombrables », apparaît également dans les comptes rendus de procès qui subsistent. Les historiens experts ont cependant nié que cela équivalait à une hérésie. En 2002, par exemple, l’historien Bruno Leen Spruit a soutenu : La croyance de Bruno en de nombreux mondes n’était pas « formellement hérétique », mais peut-être « erronée », « scandaleuse » ou « blasphématoire ». C’était mauvais, mais les hérésies étaient pires.
Mais en examinant les vieux traités sur les hérésies et le droit canon, j’ai appris autre chose. En fait, dans les années 1590, la revendication de Bruno était considérée comme hérétique. De nombreuses autorités l’ont dénoncée, notamment des théologiens, des juristes, des évêques, un empereur, trois papes, cinq Pères de l’Église et neuf saints. En 384 après J.-C., la croyance en plusieurs mondes a été qualifiée d’hérétique par Philastre, évêque de Brescia, dans son livre sur les hérésies. Cette condamnation a été reprise par des autorités ultérieures, notamment les saints Jérôme, Augustin et Isidore.
De plus, elle était hérétique selon la plus haute autorité. En 1582 et 1591, le Corpus officiel du droit canonique du pape Grégoire XIII incluait cette hérésie : « avoir l’opinion d’innombrables mondes ». Le Canon incarnait les lois de l’Église catholique : tous les tribunaux inquisitoriaux et ecclésiastiques y obéissaient.
En analysant toutes les accusations, j’ai découvert que le dossier le plus solide de l’Inquisition contre Bruno était, en fait, et contrairement aux idées reçues, sa croyance en des mondes innombrables. C’était l’accusation qui revenait le plus souvent. Par exemple, un accusateur a témoigné qu’en prison, une nuit, Bruno a amené un codétenu « à la fenêtre et lui a montré une étoile, disant que c’était un monde et que toutes les étoiles étaient des mondes. »
Treize fois, dans 10 dépositions, six témoins ont accusé Bruno de croire en de nombreux mondes. Aucune autre accusation n’a été invoquée même à moitié. Trois témoins affirmèrent que Bruno niait la transsubstantiation, mais cette transgression ne méritait guère la mort, car le pape avait ordonné que les luthériens de Rome soient bien traités. En outre, Bruno a témoigné qu’il croyait en la transsubstantiation. Bruno insiste sur le fait que les prétendus blasphèmes sont des calomnies. Il était catégoriquement d’accord avec les doctrines catholiques.
Il croyait à des idées que nous rejetons : que la Terre est un animal vivant avec une âme. Néanmoins, certains scientifiques coperniciens célèbres le croyaient aussi, notamment Kepler et William Gilbert.
Les inquisiteurs ont demandé si Bruno doutait de la virginité de Marie ou si Jésus simulait des miracles avec de la magie. Bruno a nié cela, et il n’a jamais dit de telles choses dans ses écrits. Pourtant, dans neuf livres, Bruno a affirmé sa cosmologie des nombreux mondes. C’est l’une des dix propositions que les inquisiteurs ont censurées : « Encore une fois, écrivaient-ils, il pose plusieurs mondes, plusieurs soleils, contenant nécessairement des choses semblables en genre et en espèce à celles de ce monde, et même des hommes. »
En 1597, Bruno fut confronté à des inquisiteurs, dont le théologien Robert Bellarmin, qui faisait autorité. Bruno « fut admonesté d’abandonner ainsi ses illusions de mondes divers. » Dix-neuf ans plus tard, l’inquisiteur Bellarmin ira affronter Galilée.
Dans au moins quatre dépositions, Bruno a refusé de se rétracter, insistant : La Terre est une étoile (un terme archaïque pour tout corps céleste), et les étoiles comprennent d’innombrables mondes. Les inquisiteurs confrontent alors Bruno : « Sur cette réponse, il est interrogé dans la 17e déposition, mais ne semble pas satisfaire, car il retombe dans la même réponse. » Selon les manuels inquisitoriaux, rechuter était être un hérétique.
Lorsque Bruno a été exécuté, un témoin nommé Gaspar Schoppe a rédigé deux lettres notant la croyance de Bruno dans les mondes à quatre reprises. Schoppe a utilisé la formulation dans laquelle il a été catégorisé comme une hérésie en latin : mundos esse innumerabilis.
Pourquoi les catholiques ont-ils considéré cela comme hérétique ? Les théologiens ont expliqué : » nous ne pouvons pas affirmer que deux ou plusieurs mondes existent, puisque nous n’affirmons pas non plus deux ou plusieurs Christs. «
Bruno a été condamné pour plusieurs hérésies, mais celle sur les mondes multiples était le cas le plus fort contre lui. Il ne défendait pas une croyance ésotérique en des mondes immatériels. Au lieu de cela, il affirmait des parties de notre cosmologie : notre univers acentrique a d’innombrables soleils, entourés de planètes, même certaines qui peuvent ressembler à notre Terre habitée.
Bruno a dit qu’il déduisait l’existence des mondes de l’omnipotence de Dieu : en ayant un pouvoir infini, Dieu a fait des mondes innombrables. Ironiquement, la vision envolée du cosmos de Bruno – plus correcte que celle de Copernic – découlait de ses croyances religieuses.
Il y a une grande différence entre les deux.