La toque à travers les âges

Même si de nombreuses légendes font remonter la toque à l’Antiquité, cet accessoire favori des grands chefs du monde entier n’a pas toujours été la norme. La plus ancienne de ces légendes trouve son origine au 7e siècle avant notre ère. Le roi assyrien Ashurbanipal craignait d’être empoisonné, il a donc demandé à ses chefs de porter un chapeau similaire à celui de la famille royale, afin d’être plus facilement reconnu dans le palais et de montrer leur allégeance au souverain.

Un autre mythe concernant l’origine de la toque prétend que, pour marquer le début des festivités durant l’Antiquité grecque et romaine, les organisateurs de festins équipaient leurs chefs de chapeaux ornés de feuilles de laurier. Selon une troisième légende, la toque serait une copie du chapeau porté par les prêtres grecs orthodoxes. Dans l’Empire byzantin, lors d’une période de troubles politiques au VIe siècle, de nombreux chefs se seraient réfugiés dans des monastères et auraient adopté les vêtements des moines, notamment leur typique chapeau noir cylindrique (« kamilavkion »)1.

Dans son livre The Curious Cook, l’auteur américain Harold McGee explique que « l’origine de la toque est assez obscure. D’autres recherches sur le sujet ont clairement montré que – indépendamment de ce qui s’est passé dans les monastères en Grèce -, la toque contemporaine n’a vraiment été adoptée qu’aux alentours de 1900. »

Une toque pour les cuisines étouffantes

Dans leur Dictionnaire du gastronome, Jean Vitaux et Benoît France décrivent l’utilisation d’une toca espagnole sans rebord et cylindrique au XVe siècle. Les deux passionnés de gastronomie française notent ensuite qu’à la fin de la Renaissance, les chefs, traiteurs et rôtisseurs européens portaient des chapeaux semblables à des bonnets de nuit2.

Jérémie Brucker, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Angers en France, et auteur d’une thèse sur l’histoire des vêtements professionnels, dont les vêtements de chefs, explique que le chapeau de chef était principalement fonctionnel et porté à des fins hygiéniques. « La toque, souvent en coton noir, était destinée à absorber la sueur sur les fronts de ceux qui travaillaient dans des conditions étouffantes, noircies par les braises des foyers. Ce couvre-chef servait également à empêcher les cheveux de tomber dans les aliments et à protéger le porteur des éclaboussures. »

Invention à Vienne

On doit l’invention de la toque blanche contemporaine au « roi des chefs et chef des rois » français, Marie-Antoine Carême (1784-1833). Ce maître cuisinier, qui a officié pour Talleyrand, ainsi que pour le tsar Alexandre Ier, l’a portée pour la première fois en 18213. À cette époque, il travaillait pour Lord Steward, l’ambassadeur britannique à Vienne. Comme l’explique Jérémie Brucker, « impressionné par les uniformes militaires exposés au Congrès de Vienne de 18144, il a inventé cette toque plate d’un blanc immaculé, pour refléter la pureté et la rigueur que l’on retrouve tant dans l’assiette que dans l’apparence du chef. »

Marie-Antoine Carême a donné à la toque un élément esthétique, pour symboliser le prestige de la cuisine de qualité servie dans les meilleures maisons d’Europe. « Au XIXe siècle, on croyait fermement que la nourriture devait favoriser les relations diplomatiques, confirme Jérémie Brucker. Tant en tant que chef cuisinier que par ses ouvrages5, Marie-Antoine Carême a contribué plus largement à l’invention de la gastronomie et de la présentation comme un art qui s’est répandu dans toute l’Europe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *