L’identification de l’association d’une mutation du gène JAK2 avec les néoplasmes myéloprolifératifs chroniques (NMPC) négatifs pour BCR-ABL(1,2) a permis des avancées significatives dans la compréhension de ce groupe de maladies hématologiques. Le gène JAK2, situé sur le chromosome 9p24, code pour la protéine JAK2 qui est une tyrosine kinase cytoplasmique jouant un rôle important dans la transduction du signal de divers facteurs de croissance hématopoïétiques. La mutation JAK2V617F entraîne la substitution de l’acide aminé valine par la phénylalanine dans le domaine pseudokinase (JH2), provoquant une activation constitutive du domaine kinase (JH1) et une hypersensibilité aux facteurs de croissance protéiques.
Parmi les cas de cMPN BCR-ABL négatifs, la mutation JAK2617F est présente à une fréquence de 96% dans la polycythémie vraie (PV), et de 50% des patients atteints de thrombocytémie essentielle (TE) et de myélofibrose idiopathique chronique (MF)(2). L’association de cette mutation avec le cMPN BCR-ABL négatif a contribué à améliorer le diagnostic, la classification et le traitement des patients, en particulier en ce qui concerne la PV. Tefferi et Pardanani(3) ont suggéré qu’une recherche de la mutation JAK2V617F dans le sang périphérique devrait être intégrée dans l’évaluation initiale des patients dont le diagnostic de PV est suspecté et de ceux présentant une thrombocytose de cause inconnue, avec des complications thrombotiques, notamment une thrombose cérébrale ou abdominale, et d’autres manifestations cliniques de maladies myéloprolifératives.
D’autres mutations moins fréquentes ont également été trouvées dans le gène JAK2 chez les patients PV négatifs pour JAK2V617F, ainsi que dans d’autres néoplasmes myéloprolifératifs. Plusieurs études font état de délétions, de mutations ponctuelles et de duplications(4) affectant principalement les sept résidus d’acides aminés hautement conservés (F537-F547) de la protéine JAK2. Les patients PV positifs pour ces mutations sont souvent hétérozygotes pour la mutation et se caractérisent par la prédominance de la myélopoïèse, des taux sériques d’érythropoïétine inférieurs à la normale et un âge plus bas au moment du diagnostic(3-5). L’évolution clinique de ces patients est similaire à celle des patients PV JAK2V617F-positifs(5).
La mutation V617F du gène JAK2 déclenche trois manifestations cliniques et il existe des preuves que des événements génétiques et épigénétiques supplémentaires contribuent à la pathogenèse(6). En outre, d’autres gènes, tels que les gènes MPL, TET2 et ASXL1, peuvent également être mutés, l’accumulation de mutations pouvant expliquer les différents phénotypes observés dans le NMP.
Le gène MPL, situé sur le chromosome 1p34, code pour le récepteur de la thrombopoïétine (cMPL). Son expression est importante pour la croissance et la survie des mégacaryocytes. Certaines mutations de ce gène entraînent un gain de fonction et ont été associées à une thrombocytose, une splénomégalie, une myélofibrose et un risque accru de thrombose(7). Des mutations du domaine transmembranaire de la cMPL ont été observées chez neuf patients négatifs pour la mutation JAK2V617F (MPLW515L et MPLW515K) ; des mutations ont également été détectées chez des patients positifs pour JAK2V617F.
Le gène TET2 (4q24) présente de nombreuses mutations (frameshift, missense, nonsense) qui sont observées chez les patients JAK2V617F cMPN-positifs (17%) et JAK2V617F-négatifs (7%), avec des fréquences mutationnelles d’environ 16% dans les PV, 5% dans les ET, 17% dans les MF, 14% dans les MF post-PV, 14% dans les MF post-TE et 17% dans les MPN en phase blastique(8). La fonction principale de la protéine TET2 est la conversion de la 5-méthyl-cytosine en 5-hydroxyméthyl-cytosine ; elle affecte finalement la régulation épigénétique de la transcription.
Le gène ASXL1 cartographie le chromosome 20q11.1 et appartient à la famille des gènes enhancer of trithorax et polycomb. La fonction de ce gène comprendrait une double activité activatrice/suppressive envers la transcription et inclut la répression de la transcription médiée par le récepteur de l’acide rétinoïque. Les mutations de ce gène sont associées aux syndromes myélodysplasiques (SMD) et à la leucémie myélomonocytaire chronique (LMC)(9). Dans une étude récente portant sur 300 patients présentant un spectre de tumeurs malignes myéloïdes non-MPN, des mutations du gène ASXL1 ont été trouvées chez 62 patients (~21%) : ~7% dans les SMD sans excès de blastes, 11-17% dans les SMD avec sidéroblastes annulaires, 31% dans les SMD avec excès de blastes, 23% dans la leucémie myéloïde aiguë (LMA) post-SMD, 33% dans la LMC et 30% dans la LMA primaire. On a observé que des mutations du gène ASXL1 se produisent dans les NMP en phases chronique et blastique. Dans une étude portant sur 64 patients atteints d’ET (n = 35), de MF (n = 11), de PV (n = 10), de NPP en phase blastique (n = 5) et de NPP inclassables (n = 3), des mutations de ce gène en hétérozygotie ont été identifiées chez cinq patients JAK2V617F-négatifs (~ 8% ; 3 MF, 1 ET et 1 ET en phase blastique)(10).
Il existe d’autres rapports dans la littérature associant des mutations génétiques à des cMPN BCR-ABL-négatifs. La connaissance de l’interaction génotype-phénotype pourrait élucider les mécanismes moléculaires et contribuer à l’amélioration du diagnostic, du statut et du traitement des patients atteints d’ET, de MF et de PV.