Le front oriental, 1915
Les plans des Russes pour 1915 prescrivaient le renforcement de leurs flancs au nord et en Galicie avant d’avancer à nouveau vers l’ouest en direction de la Silésie. Leurs préparatifs pour porter un coup à la frontière sud de la Prusse orientale furent devancés, car Ludendorff, frappant soudainement vers l’est depuis la Prusse orientale, enveloppa quatre divisions russes dans les forêts d’Augustów, à l’est des lacs de Mazurie, au cours de la deuxième semaine de février ; mais en Galicie, les combats de l’hiver culminèrent, le 22 mars, avec la chute de Przemyśl aux mains des Russes.
Pour les Puissances centrales, le porte-parole autrichien, Conrad, avait surtout besoin d’une action pour soulager la pression sur son front galicien, et Falkenhayn était prêt à l’aider dans ce but sans s’écarter de sa propre stratégie générale d’attrition – qui entrait déjà en conflit avec le désir de Ludendorff d’un effort soutenu vers une victoire décisive sur la Russie. Le plan finalement adopté, visant à écraser le centre russe dans le secteur de la rivière Dunajec en Galicie par une attaque sur le front de 18 miles de Gorlice à Tuchów (au sud de Tarnów), fut conçu avec une originalité tactique : Afin de maintenir l’élan de l’avancée, aucun objectif quotidien ne devait être fixé pour les corps d’armée ou les divisions individuelles ; au contraire, chacun devait progresser autant que possible avant que les Russes ne puissent faire remonter leurs réserves, en partant du principe que l’avancée rapide de certaines unités attaquantes favoriserait par contagion l’avancée ultérieure d’autres unités qui avaient d’abord rencontré plus de résistance. Fin avril, 14 divisions, avec 1 500 canons, étaient tranquillement concentrées pour le coup contre les six divisions russes présentes. Mackensen en assure le commandement, avec pour chef d’état-major Hans von Seeckt, parrain de la nouvelle tactique d’infiltration.
L’attaque de Gorlice est lancée le 2 mai et remporte un succès au-delà de toute attente. En déroute sur le Dunajec, les Russes tentent de tenir sur la Wisłoka, puis reculent à nouveau. Le 14 mai, les forces de Mackensen étaient sur la San, à 80 miles de leur point de départ, et à Jarosław, elles ont même forcé le passage de cette rivière. Renforcé par de nouvelles troupes allemandes venues de France, Mackensen frappe à nouveau, prenant Przemyśl le 3 juin et Lemberg (Lvov) le 22 juin. Le front russe était maintenant coupé en deux, mais Falkenhayn et Conrad n’avaient pas prévu ce résultat et n’avaient pas fait de préparatifs pour l’exploiter rapidement. Leurs retards conséquents ont permis aux armées russes de se replier sans se disloquer entièrement.
Falkenhayn décide alors de poursuivre une nouvelle offensive. Mackensen reçut l’ordre de virer vers le nord, de manière à coincer les armées russes dans le saillant de Varsovie entre ses forces et celles de Hindenburg, qui devaient foncer vers le sud-est depuis la Prusse orientale. Ludendorff n’apprécie pas ce plan car il s’agit d’un assaut frontal trop important : les Russes pourraient être écrasés par le rapprochement des deux ailes, mais leur retraite vers l’est ne serait pas coupée. Il insiste une fois de plus sur son plan de printemps qui prévoit une large manœuvre enveloppante à travers Kovno (Kaunas) sur Vilna (Vilnius) et Minsk, au nord. Falkenhayn s’opposa à ce plan, craignant qu’il ne signifie plus de troupes et un engagement plus profond, et le 2 juillet, l’empereur allemand se prononça en faveur du plan de Falkenhayn.
Les résultats justifièrent les réserves de Ludendorff. Les Russes ont retenu Mackensen à Brest-Litovsk et Hindenburg sur la rivière Narew suffisamment longtemps pour permettre au gros de leurs troupes de s’échapper par la brèche non fermée à l’est. Bien qu’à la fin du mois d’août, toute la Pologne ait été occupée et que 750 000 Russes aient été faits prisonniers en quatre mois de combats, les Puissances centrales ont manqué l’occasion de briser la capacité de la Russie à poursuivre la guerre.
Trop tard, Falkenhayn en septembre permet à Ludendorff de tenter ce qu’il avait préconisé bien plus tôt, un mouvement enveloppant plus large au nord sur le triangle Kovno-Dvinsk-Vilna. La cavalerie allemande s’approche en effet de la voie ferrée de Minsk, bien au-delà de Vilna ; mais la résistance des Russes est trop forte pour les maigres forces de Ludendorff, dont le ravitaillement commence par ailleurs à s’épuiser, et à la fin du mois, ses opérations sont suspendues. Le nœud de la situation est que les armées russes ont été autorisées à se retirer presque hors du filet avant que la manœuvre de Vilna, longtemps retardée, ne soit tentée. Entre-temps, une attaque autrichienne vers l’est à partir de Lutsk (Luck), commencée plus tard en septembre et poursuivie en octobre, a subi de lourdes pertes sans aucun avantage. En octobre 1915, la retraite russe, après une série d’évasions nerveuses des sauts que les Allemands avaient systématiquement créés puis cherché à couper, s’était définitivement arrêtée le long d’une ligne allant de la mer Baltique juste à l’ouest de Riga vers le sud jusqu’à Czernowitz (Chernovtsy) à la frontière roumaine.