Les goûts ont également changé. Une cour manucurée de plantes étrangères maintenues exemptes d’insectes par des produits chimiques n’est plus forcément l’idéal. Les jardiniers choisissent désormais des plantes indigènes spécifiquement pour attirer les insectes indigènes. L’asclépiade commune ne gagnera aucun concours de beauté, mais des milliers de personnes la plantent quand même parce qu’elle attire les papillons. Dans les bulletins d’information et en ligne, les jardiniers font le buzz sur les insectes qui pollinisent et consomment leurs plantes indigènes.
La science soutient désormais cette tendance. L’entomologiste Douglas Tallamy, de l’Université du Delaware, a récemment comparé le nombre d’espèces de chenilles sur un chêne blanc indigène dans sa cour à celles sur un poirier Bradford dans celle de son voisin. Le décompte était de 19 contre 1 le premier jour, et de 15 contre 1 le jour suivant. Les oiseaux, note le Dr Tallamy, se nourrissent de ces chenilles indigènes. Si l’on suit sa logique, planter un poirier Bradford équivaudrait à un avicide.
Les services municipaux chargés des arbres se sont carrément retournés contre le poirier en raison de sa tendance à perdre des branches sur les trottoirs et les lignes électriques, surtout lorsqu’il n’est pas taillé correctement pendant ses premières années. Certaines villes, dont Pittsburgh et Lexington (Ky), ont interdit les nouvelles plantations de poires Bradford ; d’autres sont en train de retirer les arbres. Le comté de Prince George a finalement capitulé en 2009 et a nommé le chêne saule (indigène) son nouvel arbre officiel.
Je ne suis pas un fan du poirier Bradford, mais je me demande si notre besoin de méchants dans nos récits environnementaux n’a pas eu raison de nous sur ce point. Quels que soient les défauts de l’arbre, c’est une plante vivante, qui respire et qui fait de la photosynthèse. Il fait toujours de l’ombre par une journée chaude. Il aspire toujours le dioxyde de carbone de l’air. Il empêche toujours l’eau de pluie de marteler le sol et de s’écouler dans les égouts. La poire Bradford ne nourrit peut-être pas 19 espèces de chenilles indigènes, mais elle semble en soutenir une.
Dans les villes et les banlieues, la Bradford n’est peut-être pas un si mauvais voisin après tout. Sur le plan écologique, c’est sûr qu’il bat une route ou un centre commercial.
Dans le même temps, nous perdons de plus en plus de nos options d’arbres indigènes. Les ormes américains contractent presque inévitablement la maladie hollandaise de l’orme s’ils vivent assez longtemps, et ne peuvent être maintenus que par une taille et un remplacement constants, et à grands frais. L’agrile du frêne, apparemment inarrêtable, est en train de mettre rapidement fin à l’utilisation du frêne comme arbre de rue. Des menaces possibles pèsent également sur nos chênes et nos érables, dont la perte serait un désastre écologique urbain.
Tout bien considéré, les crimes de la poire commencent à sembler assez mineurs. Nous ne devrions certainement pas planter plus de poires Bradford. Mais si nous devons consacrer du temps et de l’argent à redresser les torts environnementaux du passé, il y a des batailles bien plus importantes à mener qu’une seule contre un arbre minable.