L’approche optimale de la prise en charge du myélome multiple couvant (SMM) reste l’un des sujets les plus débattus dans le domaine du myélome aujourd’hui1,2. Au cours de la dernière décennie, il est devenu évident que le SMM n’est pas une entité biologique unique, mais plutôt un mélange de patients atteints d’un myélome naissant et de ceux qui sont biologiquement plus proches d’une gammapathie monoclonale de signification indéterminée (MGUS).3,4 La transformation maligne des plasmocytes clonaux observés dans la MGUS en ceux observés dans le myélome multiple actif (MM) représente un effet cumulatif de changements au sein du plasmocyte ainsi que du microenvironnement tumoral.5 Malheureusement, il n’existe pas de moyen facile de distinguer ces 2 groupes de patients en utilisant des tests de laboratoire ou une évaluation morphologique ou génomique des plasmocytes clonaux. Ces dernières années, l’intérêt pour une intervention précoce dans le myélome a considérablement augmenté pour plusieurs raisons. Des progrès significatifs ont été réalisés dans le traitement du myélome, avec des schémas thérapeutiques multi-médicaments permettant un contrôle efficace de la maladie avec des toxicités très gérables.6 Cela a conduit à un plus grand confort dans le traitement précoce des patients, ce qui se reflète dans les récentes révisions des critères de diagnostic du myélome actif. En 2016, les critères diagnostiques du myélome ont été révisés pour inclure des biomarqueurs qui prédisent un risque très élevé de progression, 80% à 2 ans, un niveau de risque que la communauté du myélome se sentait à l’aise avec l’intervention étant donné les dommages catastrophiques potentiels aux organes finaux qui peuvent survenir chez les patients au moment de la progression vers le myélome.7 Cela a conduit à la reclassification de 5% à 10% des patients précédemment diagnostiqués avec un SMM pour être recatégorisés comme ayant un MM actif nécessitant une thérapie. Étant donné que tous les patients présentent une phase prémaligne antérieure (MGUS) et que le myélome reste incurable malgré les approches actuelles, un intérêt intense a été porté à l’intervention précoce dans l’espoir de guérir la maladie ou, au minimum, de retarder la progression vers un MM symptomatique.8 Lorsqu’on envisage une intervention dans le SMM, il est important de garder à l’esprit que seule une partie des patients atteints de SMM sera diagnostiquée pendant cette phase de transition. Cependant, on peut convenir qu’il est raisonnable d’émettre l’hypothèse qu’une intervention précoce peut modifier positivement l’histoire naturelle de la maladie.
La première question est de savoir si nous devons traiter tous les patients atteints de SMM, et la réponse est clairement non. Le suivi à long terme des patients atteints de SMM a clairement montré que près de la moitié des patients ne progressent pas au cours des 5 premières années et, plus important encore, un tiers des patients restent sans progression à 10 ans et ont un risque de progression comparable à celui de la MGUS (c’est-à-dire 1 % par an).2,9 Une telle stratégie conduira clairement à traiter un grand nombre de patients qui n’auraient peut-être jamais eu besoin d’une intervention. Les traitements actuels, bien qu’ils ne soient pas aussi toxiques que les anciens traitements, comportent toujours un nombre considérable de risques à court et à long terme. La question suivante devrait donc être de savoir si nous devons traiter les 50 % de patients qui présentent un risque élevé de progression (progression dans les 5 ans). Ce serait une approche raisonnable à tester dans le cadre d’un essai clinique, à condition que nous puissions identifier ces patients avec une précision raisonnable. Plusieurs systèmes de stratification du risque ont été mis au point pour identifier les patients atteints de SMM présentant le plus grand risque de progression, principalement en fonction de la charge tumorale et de l’élimination des plasmocytes normaux par le clone malin (tableau 1).2,9-17 Plus récemment, ces modèles ont été révisés pour tenir compte de la définition révisée du SMM, mais les limites des systèmes de stratification du risque augmentent le risque que de nombreux patients qui n’auraient peut-être jamais progressé soient soumis à des traitements potentiellement toxiques. On peut certainement réduire ce risque en prenant le sous-groupe de patients identifiés comme ayant le plus grand risque de progression dans ces modèles. De multiples petits essais à un bras ont démontré que les régimes de traitement du myélome actuellement utilisés peuvent être efficaces contre les plasmocytes chez ces patients, entraînant des réponses profondes, y compris un état négatif pour la maladie résiduelle minimale (tableau 2).18-23 Mais ce que nous avons vraiment besoin de voir, c’est non seulement une réponse profonde ou même un retard dans le risque de progression vers un MM actif, mais aussi, plus important encore, une amélioration de la survie globale de ces patients, fournissant ainsi des preuves solides d’un bénéfice significatif. Les résultats de l’essai QuiRedex, décrits par Mateos et González-Calle, sont souvent présentés comme la preuve de principe d’une intervention précoce dans le SMM.18 Cependant, l’étude ne parvient pas à présenter un argument convaincant en faveur d’une intervention précoce. Un essai ultérieur à un seul bras mené par Mateos et al, utilisant une approche de traitement plus intense et des techniques d’imagerie modernes, a identifié près d’un tiers des patients atteints de SMM à haut risque considérés pour l’essai comme ayant un myélome actif sur la base de l’identification de lésions osseuses.25 Cela met clairement en évidence les pièges de l’étude précédente, où il serait raisonnable de supposer qu’une proportion similaire des patients inscrits avait réellement un myélome actif et que l’essai représentait réellement un traitement retardé d’un nombre considérable de patients dans le bras de contrôle (non traité). Cela aurait pu expliquer clairement les différences de survie que nous avons observées dans cet essai et le rend donc inadéquat pour influencer la pratique clinique actuelle. De plus, les patients du groupe d’observation devaient développer des caractéristiques CRAB (hypercalcémie, insuffisance rénale, anémie, maladie osseuse) avant d’être mis sous traitement, ce qui peut être plus tardif que la pratique clinique habituelle, où les caractéristiques cliniques peuvent conduire à la décision d’initier un traitement, comme le doublement rapide des niveaux de protéine M. Compte tenu de ces mises en garde, nous n’en sommes certainement pas au point où nous pouvons initier un traitement pour un patient atteint de SMM à haut risque. Cependant, plusieurs grands essais de phase 3 ont été réalisés ou sont sur le point de l’être, et ils fourniront une confirmation importante si cela est effectivement vrai. Il est important de noter que ces essais intègrent des combinaisons de médicaments ou de nouveaux médicaments tels que des anticorps monoclonaux. Dans la situation actuelle, nous ne savons pas s’il est bon de commencer le traitement tôt, et nous ne savons pas non plus combien de temps le traitement doit être administré si nous devions commencer à traiter ces patients. L’essai de phase 3 prévoyait un traitement jusqu’à la progression, mais pour un régime comme le lénalidomide et la dexaméthasone, il n’a pas été démontré que le traitement jusqu’à la progression était supérieur à un traitement de durée limitée, même chez les patients atteints de MM actif.24 Devrions-nous utiliser une approche douce, comme le lénalidomide et la dexaméthasone, dans le but de retarder la progression, ou devrions-nous utiliser un régime intense de 4 médicaments avec ou sans transplantation dans le but de guérir, si possible ? Plusieurs autres questions pratiques doivent être résolues si nous voulons commencer à traiter ces patients à un moment donné dans le futur. Pour un patient qui commence un traitement pour le SMM, quand change-t-on de traitement ? Si vous avez arrêté le traitement après un certain temps, quand le reprenez-vous ? Attendez-vous une progression biochimique basée sur les critères de réponse de l’International Myeloma Working Group, ou attendez-vous des événements définissant le myélome ? Si l’on attend que les patients développent des lésions des organes cibles, cela ne va-t-il pas à l’encontre de l’objectif de l’intervention précoce qui a été lancée en premier lieu ? Les patients qui développent un myélome actif sont-ils éligibles pour les essais cliniques qui sont conçus pour les myélomes nouvellement diagnostiqués ? Ces patients devraient-ils être considérés différemment ?
Tableau 1.
Modèles de stratification du risque-de risque pour le SMM
Facteurs de risque | Groupes de groupes | Risque de progression | |
---|---|---|---|
2 | BMPC >10% ; protéine M sérique >30 | 0 = faible risque ; 1 = risque intermédiaire ; 2 = risque élevé | Taux de progression sur 2 ans (TTP sur 5 ans) : faible risque, 6 % (15 %) ; risque intermédiaire, 22 % (43 %) ; risque élevé : 45% (69%) |
15 | 95% de BMPC aberrantes (absence d’expression de CD19 et/ou CD45, surexpression de CD56, ou faible expression de CD38) ; immunoparésie des immunoglobulines non impliquées | 0 = faible risque ; 1 = risque intermédiaire ; 2 = risque élevé | TTP médian (taux de progression à 5 ans) : risque faible, NR (4%) ; risque intermédiaire, 73 mo (46%) ; risque élevé, 23 mo (72%) |
12 | BMPC >10%, protéine sérique monoclonale >30 ; FLC impliqué/ FLCr non impliqué >8 | 0 = faible risque ; 1 = risque intermédiaire ; 2-3 = risque élevé | Taux de progression sur 2 ans (taux de progression sur 5 ans) : faible risque, 12% (25%) ; risque intermédiaire, 27% (51%) ; risque élevé, 52% (76%) |
17 | BMPC ≥40% ; FLCr impliqué/non impliqué ≥50 ; albumine sérique ≥3.5 g/dL | 0 = faible risque ; 1 = risque intermédiaire ; 2-3 = risque élevé | Les taux de progression sur 2 ans étaient de 16 %, 44 % et 81 % |
9 | BMPC >20 % ; protéine monoclonale sérique >2 g/dL ; FLCr impliqué/non impliqué >20 | 0 = faible risque ; 1 = risque intermédiaire ; 2-3 = risque élevé | TTP médian (mo) : faible risque, 109.8 ; risque intermédiaire, 67,8 ; risque élevé, 29.2 |
BMPC, pourcentage de plasmocytes de la moelle osseuse ; FLCr, rapport des chaînes légères libres sériques ; NR, non rapporté ; TTP, temps jusqu’à la progression.
Tableau 2.
Essais cliniques pour le myélome couvant
Référence | Type | Traitement bras | Réponse optimale | Temps jusqu’à la progression |
---|---|---|---|---|
20 | Simple-bras phase 2 (n = 29) | Thalidomide 200 mg/j pendant 2 semaines, puis augmentée selon la tolérance jusqu’à une dose maximale de 800 mg/j | PR 34% | Médiane, 35 mo pour PR 61 mo, MR 39 mo, et <MR 9 mo |
21 | Simple-bras phase 2 (n = 78) | Thalidomide 200 mg/d avec pamidronate mensuel | PR 25% | SVP 4-y EFS 60% |
22 | Randomisé, contrôlée par placebo | Curcumine 4 g suivie d’une phase ouverte dephase 8 g | NR | NR | 18 | Phase 3 randomisée, contrôlée par placebo (n = 119) | Lénalidomide 25 mg jours 1-21, dexaméthasone 20 mg jours 1-4 et 12-15, pendant 9 cycles de 4 semaines, suivis d’une maintenance de lénalidomide 10 mg jours 1-21 de chaque cycle de 28 jours pendant 2 ans | PR 79% induction, 90% entretien | Médiane NR vs 21 mo |
SG 3 ans 94% vs 80% | ||||
23 | Phase 2 à un seul bras (n = 12).bras phase 2 (n = 12) | Huit cycles de 28 jours de carfilzomib 20/36 mg/m2 aux jours 1, 2, 8, 9, 15 et 16 ; lénalidomide 25 mg aux jours 1-21 ; et dexaméthasone 20/10 mg (cycles 1-4/5-8) aux jours 1, 2, 8, 9, 15, 16, 22 et 23 ; suivi de 24 cycles de lénalidomide | ≥VGPR 100% | NR |
24 | Bras unique (n = 22) | 6 doses de vaccin PVX-.410 (sous-cutané), toutes les deux semaines ± 3 cycles de 21 j de lénalidomide, 25 mg, par voie orale tous les 28 j | Aucun RP en monothérapie, 5/12 RP en association | 9 mo, NR pour l’association |
25 | Phase 2 à bras unique (n = 90) | Carfilzomib 20/36 mg/m2 jours 1, 2, 8, 9, 15, 16 ; lénalidomide 25 mg jours 1-21 ; dexaméthasone 40 mg jours 1, 8, 15, 22 ; suivi d’un seul ASCT avec Mel200, suivi de 2 cycles de consolidation KRd, suivi d’une maintenance lénalidomide 10 mg jours 1-21, dexaméthasone 20 mg jours 1, 8, 15, et 22 (24 cycles de 4 semaines) | 100% PR, 90% CR | NR (PFS 94% à 28 mo) |
ASCT, autogreffe de cellules souches ; CR, réponse complète ; EFS, survie sans événement ; KRd, carfilzomib, lénalidomide et dexaméthasone ; MR, réponse mineure ; PFS, survie sans progression ; PR, réponse partielle ; VGPR, très bonne réponse partielle.
Une autre raison importante de ne pas adopter cela comme pratique standard est le potentiel de nuisance. Les traitements actuels, s’ils ne sont pas aussi toxiques que les anciens, comportent encore une quantité considérable de risques à court et à long terme. Le traitement à long terme par lénalidomide a été associé à un risque accru de second cancer, du moins dans le cadre d’une maintenance post-transplantation. Les stéroïdes ont été associés à diverses conséquences à long terme, notamment le diabète, les anomalies lipidiques, l’ostéoporose et le risque d’infection, entre autres. Le bortézomib et la thalidomide sont tous deux associés à une neuropathie qui peut être très symptomatique et parfois non réversible. Il faut garder à l’esprit que ces patients sont souvent plus jeunes que ceux atteints de myélome actif et qu’ils survivront assez longtemps grâce aux nouvelles thérapies instituées au moment du diagnostic du MM. Par conséquent, les conséquences des toxicités doivent être incluses dans l’équation, surtout si l’on considère la toxicité cardiaque, comme celle observée avec le carfilzomib, qui peut sérieusement compromettre les options thérapeutiques futures. Dans ce cas, comment justifier les essais cliniques ? Même si l’essai espagnol de phase 3 n’a pas prouvé de manière concluante les avantages d’une intervention précoce, il a permis de dissiper certaines des craintes associées à un traitement précoce. Il n’y a eu aucun signe de résistance aux médicaments ou d’absence de réponse aux thérapies ultérieures utilisées chez ces patients. Aucune toxicité à long terme n’a été observée avec l’utilisation du lénalidomide et de la dexaméthasone dans le groupe de traitement. Ces résultats atténuent clairement certaines des préoccupations susmentionnées.
En résumé, il n’existe aucune preuve suggérant qu’une intervention précoce dans le SMM, même lorsqu’elle est limitée aux patients présentant le plus grand risque de progression vers un MM actif, entraîne une amélioration de la survie globale. Ceci, ainsi que la préoccupation concernant la toxicité à long terme, plaide contre le traitement précoce des patients atteints de SMM. Cependant, il s’agit d’une hypothèse convaincante qui doit être étudiée, et les patients atteints de SMM devraient être pris en considération pour des essais cliniques examinant l’intervention précoce lorsque cela est possible.
Il s’agit d’une hypothèse qui doit être étudiée.