Un homme blanc de 54 ans se présente au service d’urgence local avec une douleur aiguë affectant les deux épaules et sa main gauche, qui présente également un gonflement diffus. Le patient explique qu’il a été admis à l’hôpital 2 semaines auparavant, après avoir fait une crise cardiaque. Les dossiers montrent que le patient avait subi un infarctus du myocarde (IM) avec surélévation du segment ST ; le traitement avait comporté une intervention percutanée (ICP) et la pose d’un stent à élution médicamenteuse, ainsi qu’un traitement antiplaquettaire avec une dose de charge de clopidogrel.
Comme son IM avait été compliqué par un thrombus ventriculaire gauche, le patient prend un double traitement antiplaquettaire avec du clopidogrel et de l’aspirine lorsqu’il se présente aux urgences avec une douleur bilatérale à l’épaule ainsi qu’une douleur et un gonflement de la main gauche.
Après avoir examiné ses antécédents médicamenteux, les cliniciens soupçonnent que ses symptômes sont des myalgies induites par les statines, et l’atorvastatine est arrêtée. De même, la dose de furosémide du patient est ajustée en réponse à une insuffisance rénale aiguë.
Au bout d’une semaine, l’homme revient aux urgences en signalant que la douleur dans ses épaules s’est intensifiée. Il note qu’il ressent maintenant des picotements et une certaine perte de sensation dans les deux mains et les bras, ainsi qu’une nouvelle douleur affectant sa main gauche et sa hanche droite.
Évaluation clinique
Le patient est assis confortablement pendant son examen ; sa fréquence cardiaque est de 88 bpm, sa pression artérielle de 156/57 mmHg et sa température de 100°F (37,8°C). Les résultats de l’évaluation de son système cardiovasculaire, de son abdomen, de ses poumons et de sa peau sont dans les limites normales.
Les évaluations neurologiques indiquent une fonction sensorielle normale, des réflexes tendus profonds normaux et une force normale dans toutes les extrémités, à une exception près : la puissance des muscles proximaux et distaux de sa main supérieure gauche est de 4/5.
L’examen des articulations du patient identifie de nombreux problèmes, dont les suivants :
- Les ganglions de Heberden et les ganglions de Bouchard sur les doigts 2 à 5 des deux mains
- Gonflement et sensibilité dans le dorsum de la main et du poignet gauche, avec perte d’amplitude de mouvement
- Amplitude de mouvement active et passive restreinte dans les deux épaules
- Effusion minime sans sensibilité, et amplitude de mouvement normale dans le genou droit
Résultats des tests de laboratoire et d’imagerie
- Composition des globules blancs : 13,5 K/mm3 (normale = 3,7-10,5 K/mm3) avec 78% de neutrophiles, 8,1% de lymphocytes et 0,9% d’éosinophiles normaux
- Azote uréique sanguin : 38 mg/dL (normale = 10-20 mg/dL)
- Créatinine sérique : 1.3 mg/dL (normal = 0,7-1,3 mg/dL)
- Vitesse de sédimentation érythrocytaire (VS) : 101 mm/h (normal = 0-15 mm/h)
- Protéine C-réactive (CRP) : 29.7 mg/dL (normal = 0-0,5 mg/dL)
Le patient a été testé dans la plage normale pour le taux d’acide urique sérique, la fonction hépatique et la créatine kinase sérique.
Une IRM de la colonne cervicale a identifié une sténose sévère au niveau de C5-C6 comme étant la cause des fourmillements et de l’engourdissement dans les deux bras ainsi que de la faiblesse de sa main gauche. Le patient est équipé d’un collier cervical souple pour stabiliser la colonne cervicale. Les cliniciens suggèrent une chirurgie élective à un moment où le patient est capable de tolérer l’anticoagulation pré-chirurgicale et les agents antiplaquettaires doubles.
Jour le troisième jour : Investigations en cours
Au troisième jour de son hospitalisation, la main gauche du patient n’est plus enflée ni douloureuse. Cependant, il ressent maintenant la même douleur dans sa main et son bras droits, et il y a des preuves d’un gonflement diffus des tissus mous.
L’inflammation persiste, avec une élévation continue de son ESR (116 mm/h) et de sa CRP (26,6 mg/dL). La possibilité d’une étiologie infectieuse est éliminée après que les résultats des tests de laboratoire sont négatifs.
Jour 4 : Diagnostic d’exclusion
Un diagnostic provisoire d’arthrite inflammatoire polyarticulaire aiguë induite par le clopidogrel est posé sur la base de l’exclusion d’autres causes potentielles, notamment une myalgie induite par les statines, un processus infectieux, une arthropathie cristalline, une polyarthrite rhumatoïde et une réaction à médiation immunitaire à d’autres médicaments.
Les cliniciens arrêtent le clopidogrel, et le remplacent par du prasugrel 10 mg par jour par voie orale en même temps que de l’aspirine en cours pour la prévention de la thrombose post-PCI. Dans les 24 heures, le gonflement et la douleur affectant le bras droit du patient disparaissent. De plus, les tests montrent une diminution de l’inflammation, avec une réduction de l’ESR de 11 mm/h et de la CRP de 5,1 mg/dL. Les symptômes ne réapparaissent pas, ce qui rend l’arthrocentèse inutile.
Alors qu’une sténose sévère au niveau de C5-C6 continue de provoquer des fourmillements et des engourdissements bilatéraux dans les mains et les bras du patient, ainsi qu’une faiblesse dans son bras gauche, ces symptômes restent stables.
Q2 :
Discussion
Les cliniciens qui rapportent ce cas1 notent que l’arthrite inflammatoire liée au clopidogrel est une affection rare qui nécessite un haut niveau de suspicion. Ils observent que l’identification de l’étiologie de l’arthrite inflammatoire chez un patient sous clopidogrel implique une évaluation approfondie, car il s’agit d’un diagnostic d’exclusion.
Les autres causes à envisager comprennent la myalgie induite par les statines, l’arthropathie cristalline infectieuse, la polyarthrite rhumatoïde et la réaction à médiation immunitaire à d’autres médicaments.
Les caractéristiques de ce cas qui aident à différencier la polyarthrite migratoire de la goutte polyarticulaire comprennent le fait que dans l’arthrite goutteuse, les symptômes dans chaque articulation persistent généralement pendant environ 3 à 10 jours sans aucune intervention active,2 alors que les symptômes de ce patient ont migré vers une autre articulation après 1 à 2 jours.
De même, les taux d’acide urique sérique sont souvent normaux ou faibles pendant une crise de goutte aiguë,3 alors que ce patient présentait des taux d’acide urique sérique élevés (que les auteurs ont attribué à une insuffisance rénale aiguë). Et l’étiologie possible d’une réaction allergique aiguë est exclue par le fait que la numération des éosinophiles du patient se situait dans les limites normales.4-6
Dans le même rapport, les auteurs ont décrit une réaction similaire au clopidogrel chez un homme blanc de 77 ans qui s’est présenté avec des douleurs dans l’épaule gauche et la hanche gauche. Il avait des antécédents d’hypertension, de lymphome et d’angine crescendo récemment diagnostiquée nécessitant une ICP plusieurs semaines auparavant.
Dans le cas du second patient, les symptômes initiaux de douleur et de gonflement articulaire migratoire étaient intermittents — peut-être en partie dus au traitement par hydromorphone et colchicine — et étaient associés à une fièvre subjective, des frissons, une perte de poids et une asthénie.
Les auteurs ont noté que dans le cas rapporté ici, seulement 2 à 3 jours se sont écoulés entre le traitement au clopidogrel et le développement des symptômes. Cela contraste avec le second patient, dont les symptômes sont apparus environ 1 semaine après le début de la bithérapie antiplaquettaire par clopidogrel et aspirine. Les deux patients avaient reçu la même dose de charge initiale de clopidogrel.
La bithérapie antiplaquettaire post-IAM est utilisée dans la prise en charge de la maladie coronarienne depuis plusieurs décennies,7 et est importante pour réduire le risque de thrombose de l’endoprothèse, d’IM et, éventuellement, de décès cardiovasculaire,8,9 notent les auteurs des cas. Dans tous les cas rapportés, les marqueurs inflammatoires sont revenus aux valeurs de base et les symptômes ont disparu après l’arrêt du clopidogrel.
Le clopidogrel est une thiénopyridine, un inhibiteur sélectif et irréversible du récepteur de l’adénosine diphosphate (ADP)/P2Y12. Bien que le mécanisme de l’effet pro-inflammatoire noté du clopidogrel soit inconnu, il pourrait être dû à un effet non identifié sur les cellules, plutôt que sur les plaquettes, par le biais d’une augmentation des cytokines pro-inflammatoires telles que l’interféron-γ, l’interleukine (IL)-6 et l’IL-1β.10
Bien qu’un cas similaire d’arthrite inflammatoire ait été rapporté chez un patient ayant reçu de la ticlopidine, ces rares cas ne semblent pas représenter un effet de la classe de médicaments. Les options alternatives de traitement antiplaquettaire qui n’ont pas été associées à cet effet indésirable comprennent le ticagrelor ou le prasugrel.
Notamment, le rapport de cas de ticlopidine11 a généré un commentaire de mise en garde12 intitulé « Des propos imprudents peuvent coûter des vies en attribuant des effets indésirables aux antagonistes des récepteurs de l’ADP. »
Les auteurs de ce cas soulignent l’importance de signaler de tels effets indésirables afin d’accroître la sensibilisation et d’améliorer le diagnostic précis et opportun.
1. Ayesha B, et al : polyarthrite inflammatoire migratoire associée au clopidogrel. Am J Case Rep, 2019 ; 20 : 489-492
2. Schlee S, et al : Arthrites cristallines – goutte et arthrite à pyrophosphate de calcium : Partie 2 : Caractéristiques cliniques, diagnostic et diagnostics différentiels. Z Gerontol Geriatr 2018 ; 51(5) : 579-584
3. Badulescu M, et al : Crise de goutte aiguë avec des taux sériques d’acide urique normaux. Rev Med Chir Soc Med Nat Iasi, 2014 ; 118(4) : 942-945
4. Calogiuri GF, et al : Une classification conjointe allergologue/cardiologue pour les réactions d’hypersensibilité aux thiénopyridines basée sur leurs modèles symptomatiques et son impact sur les stratégies de gestion. Int J Cardiol, 2016 ; 222 : 509-514
5. Dong P, et al : Polymorphisme génétique du CYP2C19 et effets inhibiteurs du ticagrelor et du clopidogrel envers l’agrégation plaquettaire post-intervention coronaire percutanée (ICP) chez les patients atteints de syndromes coronariens aigus. Med Sci Monit 2016 ; 22 : 4929-4936
6. Jia M, et al : Nouvel inhibiteur P2Y12 oral prasugrel vs clopidogrel chez les patients atteints de syndrome coronarien aigu : Preuves basées sur 6 études. Med Sci Monit 2015 ; 21 : 1131-1137
7. Muller KA, et al : Plaquettes, inflammation et effets anti-inflammatoires des médicaments antiplaquettaires dans le SCA et la CAD. Thromb Haemost 2015 ; 114(3) : 498-518
8. Dalby AJ, et al : Double traitement antiplaquettaire chez les patients atteints de diabète et de syndromes coronariens aigus gérés sans revascularisation. Am Heart J 2017 ; 188 : 156-166
9. Lettino M, et al : Traitement antiplaquettaire et antithrombotique pour la prévention secondaire dans les cardiopathies ischémiques. Eur J Prev Cardiol 2017 ; 24(3 Suppl.) : 61-70
10. Garcia AE, et al : Le clopidogrel, un antagoniste des récepteurs P2Y12, potentialise la réponse inflammatoire dans un modèle d’arthrite induite par le polysaccharide de peptidoglycane chez le rat. PLoS One 2011 ; 6(10) : e26035
11. Dakik HA, et al : Points sur les médicaments : La ticlopidine associée à l’arthrite aiguë. BMJ 2002 ; 324(7328) : 27
12. Green MJ, et al. Commentaire : Careless talk may cost lives in attributing adverse events to ADP receptor antagonists. BMJ 2002 ; 324:1039
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