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L’historien anachorète Dave Burkhart déboulonne les dictons les plus fréquemment cités et attribués à tort sur la bière et San Francisco.

« La bière est la preuve que Dieu nous aime et veut que nous soyons heureux. »

Benjamin Franklin

Nous, chez Anchor Brewing, n’avons aucun doute sur la véracité de cette affirmation. Mais de son auteur ? Eh bien, ce n’était tout simplement pas Benjamin Franklin.

Attribuée malencontreusement, mais à tort, par des amateurs de bière, des conférenciers et des écrivains à un homme qui a déjà tant de mérite, elle reste l’un des dictons les plus populaires sur la bière – si ce n’est sur Dieu et le bonheur – que personne n’a vraiment prononcé.

Bien qu’il appréciait la bière – surtout la petite bière, parfaite pour les longues séances consacrées à des discussions de philosophie politique, de théorie économique, de sciences et d’arts – Ben Franklin était avant tout un grand amateur de vin.

En 1779, alors qu’il se trouve en France, Franklin écrit à son ami, le théologien, économiste, philosophe et écrivain André Morellet (1727-1819) :

On parle de la conversion de l’eau en vin, à la nôce de Cana, comme d’un miracle. Mais cette conversion est faite tous les jours par la bonté de Dieu, sous nos yeux. Voilà l’eau qui tombe des cieux sur nos vignobles, et alors elle entre dans les racines des vignes pour-être changée en vin. Preuve constante que Dieu nous aime, et qu’il aime à nous voir heureux1.

André Morellet

La prose sur le vin semble toujours si poétique en français, mais Franklin sonne bien dans n’importe quelle langue :

On nous parle de la conversion de l’eau en vin lors des noces de Cana, comme d’un miracle. Mais cette conversion se fait, par la bonté de Dieu, tous les jours sous nos yeux. Voyez la pluie qui descend du ciel sur nos vignes, et qui s’incorpore aux raisins pour se changer en vin ; preuve constante que Dieu nous aime, et aime nous voir heureux !1

Comme le rappelait Franklin à Monsieur l’Abbé Morellet dans la même lettre, « In vino veritas… La vérité est dans le vin. » Et la vérité, selon la devise de Morellet sur les ex-libris de sa vaste bibliothèque, triomphe de tout – Veritas omnia vincit.

Franklin écrit de manière moins révérencieuse sur la bière dans son autobiographie. A Londres au milieu des années 1720, sa consommation par ses collègues imprimeurs l’avait troublé, malgré le fait qu’il était parfaitement normal à l’époque de se fortifier avec une bière ou deux au travail:

J’ai maintenant commencé à penser à obtenir un peu d’argent à l’avance ; et espérant un meilleur travail, j’ai quitté Palmer’s pour travailler chez Watts’s près de Lincoln’s Inn Fields, une imprimerie encore plus grande. C’est là que j’ai continué tout le reste de mon séjour à Londres .

A ma première admission dans cette imprimerie, je me suis mis à travailler à la presse, imaginant que je ressentais un manque de l’exercice corporel auquel j’avais été habitué en Amérique, où le travail de presse est mêlé à la composition. Je ne buvais que de l’eau ; les autres ouvriers, au nombre de près de 50, étaient de grands buveurs de bière.

Il m’est arrivé de monter et de descendre des escaliers avec une grande Forme de caractères dans chaque main, quand d’autres n’en portaient qu’une dans les deux mains. Ils s’étonnaient de voir que l’Américain des Eaux, comme ils m’appelaient, était plus fort qu’eux qui buvaient de la bière forte. Nous avions un garçon de brasserie qui était toujours présent dans la maison pour approvisionner les ouvriers. Mon compagnon à la presse buvait chaque jour une pinte avant le petit-déjeuner, une pinte au petit-déjeuner avec son pain et son fromage, une pinte entre le petit-déjeuner et le dîner, une pinte au dîner, une pinte dans l’après-midi vers six heures, et une autre lorsqu’il avait terminé sa journée de travail. Je trouvais cette coutume détestable. Mais il était nécessaire, supposait-il, de boire de la bière forte pour avoir la force de travailler.

Je m’efforçai de le convaincre que la Force corporelle procurée par la Bière ne pouvait être qu’en proportion du Grain ou de la Farine de l’Orge dissous dans l’Eau dont elle était faite ; qu’il y avait plus de Farine dans un Penny-worth de Pain, et que par conséquent s’il voulait manger cela avec une Pinte d’Eau, cela lui donnerait plus de Force qu’une Quart de Bière. Il continuait cependant à boire, et il avait 4 ou 5 shillings à payer sur son salaire chaque samedi soir pour cette liqueur de boue, une dépense dont j’étais exemptée. Et c’est ainsi que ces pauvres diables se tiennent toujours sous….

De mon exemple, une grande partie d’entre eux, abandonnèrent leur petit déjeuner boueux de bière, de pain et de fromage, trouvant qu’ils pouvaient avec moi être approvisionnés d’une maison voisine avec un grand pichet d’eau chaude-gruel, saupoudré de poivre, émietté de pain, et un peu de beurre dedans, pour le prix d’une pinte de bière, c’est-à-dire trois demi-pence. C’était un petit déjeuner plus confortable et moins cher, qui leur permettait d’avoir la tête plus claire. Ceux qui continuaient à s’abreuver de bière toute la journée, étaient souvent, en ne payant pas, à court de crédit à la brasserie, et devaient s’intéresser à moi pour obtenir de la bière, leur lumière, comme ils l’appelaient, étant épuisée.2

L’imprimerie de Franklin

Malgré les sentiments de Franklin sur la bière, Dieu, bien sûr, l’aimait toujours et voulait qu’il soit heureux. Et quarante ans plus tard, on en a la preuve !

En 1768, Franklin visita l’imprimerie londonienne où il avait été autrefois compagnon imprimeur. Il était certain qu’une de leurs presses était celle-là même qu’il avait fait fonctionner plus de quarante ans auparavant. C’était un motif de célébration, et il a commandé un gallon de bière pour partager avec ses collègues imprimeurs et porter un toast à leur noble profession.

La presse se trouve maintenant au Smithsonian. Une plaque en laiton y a été apposée en 1833. On y lit, selon le New-Yorkais John B. Murray, qui fut chargé de faire venir la presse en Amérique :

DR. FRANKLIN’s Remarks relative to this Press, made when he came to England as agent of the Massachusetts, in the year 1768. Le Docteur visita à cette époque l’imprimerie de M. Watts, de Wild-street, Lincoln’s-lnn-Fields, et, s’approchant de cette presse particulière (qui fut ensuite en possession de MM. Cox and Son, de Great Queen-street, à qui elle fut achetée), s’adressa ainsi aux hommes qui y travaillaient :  » Venez, mes amis, nous allons boire ensemble. Cela fait maintenant quarante ans que je travaille comme vous à cette presse, en tant que compagnon imprimeur. » Le Docteur envoya alors chercher un gallon de Porter, et il but avec eux:-« SUCCÈS À L’IMPRIMERIE. « 3

A moins que vous ne voyiez la foudre, levez un Anchor Porter à Ben Franklin et soyez heureux !

Citations

1La lettre de Franklin et la traduction des Memoirs of the Life and Writings of Benjamin Franklin, par son petit-fils, William Temple Franklin, 1819. Une version légèrement différente figure dans les Mémoires de l’abbé Morellet, M. Lémontey, éd. Paris, 1821 : « On parle de la conversion de l’eau en vin, à la noce de Cana, comme d’un miracle. Mais cette conversion est faite tous les jours par la bonté de Dieu devant nos yeux. Voilà l’eau qui tombe des cieux sur nos vignobles ; là, elle entre les racines des vignes pour être changée en vin ; preuve constante que Dieu nous aime, et qu’il aime à nous voir heureux. »

2From Franklin’s autobiography in The Papers of Benjamin Franklin, un projet conjoint de la bibliothèque de l’université Yale et de l’American Philosophical Society.

3Dans A Lecture on the Life of Dr. Franklin, par John B. Murray, 1841, qui comprend une transcription de la conférence du révérend Hugh M’Neile en 1841 à l’amphithéâtre royal de Liverpool, au cours de laquelle Murray a présenté la presse à imprimer « Franklin » qu’il a achetée et qui sera bientôt expédiée en Amérique. J. L. Cox, dans une lettre adressée à Murray en 1841, a confirmé l’histoire de la presse et du porteur, mais pas la date. « Je me souviens d’un vieux pressier employé par mon père, nommé Norgrove, qui m’a informé que lorsque le Dr Franklin était dans ce pays, arrangeant le traité de paix entre l’Angleterre et les États-Unis, il est venu un jour au bureau, et que lui (Norgrove) travaillait alors à la presse. Le Dr. observa que c’était la même Presse où il avait lui-même travaillé autrefois lorsqu’il était compagnon ; et ayant ordonné qu’on lui envoie du porteur, il en but avec lui et les autres hommes de la pièce ; leur recommandant à tous d’être industrieux et attentifs aux affaires, comme il l’avait été, et que, comme lui-même, ils en tireraient profit. »

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